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Le cinéma syrien de Mohammad Malas

C’était une rencontre à Vesoul, terre de cinémas d’Asie. Ici l’Asie est Mineure, Proche Orientale, pour ne pas dire au bord de notre monde devenu fou…

« Quand j’étais enfant, je sentais que c’est la rue qui faisait la politique,  les événements, désormais la rue est  absente de la politique… »  [M. Malas]

Entendez politique dans son sens premier, à la Aristote, comme la vie publique et de la cité. Syrie comme Turquie, Iraq ou Iran, nous touchons là au berceau de la civilisation. Ces dernières trop longues années de guerre ne nous font pas oublier que cet endroit inventa l’écriture, l’agriculture, la sédentarisation ; toutes ces données jettent les bases de notre modernité.

Nada Azhari Gillon, journaliste et traductrice, Mohammad Malas à gauche, 01/02/2018 / Crédit photo : Màxim Pozor.

Rencontrons donc ce monsieur de 70 ans passés pour parler du respect des aînés, des similitudes et différences avec la République Islamique d’Iran dans le cinéma, de cet hommage qui lui est offert par ici. Le lecteur ci-dessous vous permet d’écouter cet entretien bilingue, franco-arabe, de 18 minutes, réalisé le 1er février 2018 au cinéma Le Majestic.

Dans un entretien de 2005, M. Malas explique qu’il est devenu réalisateur en 1974 tant par hasard que par nécessité « porté par un profond sentiment de solitude et d’exil », alors qu’il aspirait plutôt à la vie d’un homme de lettres.

Dédicace et mot de rencontre de M. Malas. 1er février 2018 /                                              Crédit photo : Màxim Pozor

M. Malas lors de la cérémonie d’ouverture du FICA 2018 a reçu un Cyclo d’or d’honneur, tout comme Wang Xiaoshuai. Lisez ci-dessous le texte de la journaliste du site Al Jazeera Document publié dans le catalogue du festival. 

Mohamad Malas, la mémoire et la vie

En 1984, le public international a découvert le cinéma syrien avec Les Rêves de la ville, chef-d’oeuvre du cinéma arabe1. La ville est Damas. Le rêveur est un adolescent, dont le parcours est semblable à celui du réalisateur. Ce dernier, à la mort de son père, migre à Damas depuis sa ville natale du Golan : Quneitra. Pour la mère et ses enfants commence une nouvelle vie dans une capitale offrant de vastes possibilités. Le jeune homme est le témoin de la Syrie des années cinquante, seule période démocratique de sa longue histoire. Comme d’autres films de Mohamad Malas, Les Rêves de la ville est basé sur des faits réels et montre le poids de l’Histoire sur la vie et l’imaginaire, dans un langage cinématographique puissant et poétique.
 
Mohamad Malas nourrit la mémoire collective à partir de ses souvenirs personnels. Sa ville natale est présente dans plusieurs de ses oeuvres. Il montre sa destruction au départ des troupes d’occupation israéliennes dans Quneitra 74 (1974) et la fait revivre par le truchement du cinéma dans La Nuit (1992). Le cinéma est pour lui à la fois une patrie et un foyer. Par le biais de son art, il prolonge la mémoire personnelle et transmet un univers intime : « Je parle de ce qui est perdu, de ce que je ne trouve plus dans la vie. Alors je le ressuscite par le biais du cinéma, en cherchant son espace intime ».
Si Les Rêves de la ville ressuscite la période oubliée des années cinquante, son second long-métrage, La Nuit, restitue des lieux qui n’existent plus, en suivant un jeune homme qui retrace le parcours de son père. Ce dernier, natif de Hama, part vivre à Quneitra, puis combat en Palestine en 1936, avant d’être tué lors de la défaite de 1967. Le film est une métaphore de l’humiliation d’un pays aux défaites répétées.
Outre ces films, Mohamad Malas a réalisé trois autres longs-métrages. La Porte du sanctuaire (sorti sous le titre Passion en France, 2005) est l’adaptation d’un fait divers concernant une jeune femme victime d’un « crime d’honneur ». Suivent Al-Mahd (L’Origine, 2008) et Une échelle pour Damas (2013), qui a pour toile de fond l’insurrection syrienne du printemps 2011. De jeunes Syriens, artistes et étudiants, vivent dans une maison dont la terrasse domine les vieux quartiers : « Ce film montre une ville fantasmée, très loin de celle que nous connaissons aujourd’hui, Damas telle que je l’ai connue et où j’ai vécu. Le film est comme une échelle pour atteindre Damas, à partir de cette terrasse où l’on reprendrait possession de la ville ».
La difficulté de produire des films peu conformes à l’idéologie officielle en Syrie a empêché Mohamad Malas de réaliser plus de cinq longs métrages. Il a cependant pu réaliser de nombreux courts et moyens métrages, dont huit seront projetés au FICA, parmi lesquels Le Rêve (1987), sur la mémoire et l’imaginaire des réfugiés palestiniens, et Halab maqâmât al-masarra (Sabri Mudallal, le semeur de voix, 1998), sur le maître du chant traditionnel Sabri al-Mudallal, où se retrouvent les thématiques de la mémoire et de l’attachement intime à un monde perdu.
Hantés par un profond sentiment de nostalgie, tous les films de Mohamad Malas sont frappés du coin de la déception, de l’attente et des rêves brisés.

Nada Azhari Gillon

1 Classé 6ème plus beau film arabe de tous les temps, selon la liste établie en 2013 par un comité de cinéastes et critiques arabes à l’occasion du festival de Dubaï

Enfin, retrouvez ici une galerie photos de l’exposition « Je suis de là, je suis d’Alep » de Z. Abdelkafi, en cours à la chapelle de l’Hôtel de ville de Vesoul, associée à ce regard porté sur la Syrie du moment.

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