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Théâtre Du Peuple 120 ans & un week-end !

Si vous aviez suivi le premier article consacré aux « Théâtre du Peuple et Théâtre du Jorat à l’épreuve du théâtre populaire » (par C. Rambaud), vous connaissez notre spécialiste Carole… Et c’eut été sans compter sur elle pour nous livrer en passionnée le récit sompteux d’un week-end sympa autour des 120 ans du théâtre implanté à Bussang dans les Vosges…

Carole (Professeure certifiéé en Lettres modernes)  travaille sur l’oeuvre de Maurice Pottecher dans le cadre de sa thèse (doctorante en Littérature française et comparée),et nous avoue que pour ce reportage : « j’ai laissé ma casquette de chercheuse objective pour me laisser porter par l’esprit du lieu »..!

 

Place à la fraicheur du reportage..!

Le Théâtre du Peuple sous le soleil, vendredi 24 juillet 2015.

Le Théâtre du Peuple sous le soleil, vendredi 24 juillet 2015.

À l’occasion de l’anniversaire du Théâtre du Peuple, fondé à Bussang il y a 120 ans par Maurice Pottecher, un week-end spécial consacré au créateur et à son œuvre s’est déroulé dans le village vosgien les 24, 25 et 26 juillet derniers.

 

Conférences ensoleillées et refroidissement inquiet

            Cet événement fut inauguré par l’intervention en plein air des deux universitaires Marion Denizot et Bénédicte Boisson. Elles ont présenté leur dernier ouvrage[1], écrit à quatre mains, portant sur les 120 années d’histoire du Théâtre du Peuple. Spécialistes du théâtre ainsi que de la problématique du populaire dans l’art littéraire, elles ont su décrypter savamment et agréablement les enjeux esthétiques, pratiques et idéels de ce théâtre si particulier devant un public de fidèles du Théâtre, certes curieux de l’analyse des deux chercheuses, mais aussi attentif et exigeant. Les tensions spécifiques du lieu ont été traitées avec un sens du paradoxe particulièrement vivifiant, donnant à constater la pleine mesure de l’ampleur du projet de Pottecher et de son héritage toujours vivace.

            Pierre Bortolussi, architecte en chef des Monuments Historique a ensuite proposé une présentation historique de l’architecture du théâtre. En dépit des formulations parfois techniques de l’architecte, l’assemblée du public a pu retenir la gageure que représente l’entretien d’un tel bâtiment. Fait de bois de sapin, tendre et fragile, la solidité de l’ensemble doit être surveillée et entretenue dans le respect d’une architecture pensée par le fondateur Pottecher. Consolider et pérenniser sans défigurer, tel est le défi que relève régulièrement Pierre Bortolussi et ses équipes. Classé monument historique en 1976 parce qu’il constitue un lieu de mémoire, parce qu’il est le fruit d’une pensée originelle, le Théâtre de Bussang est donc traité avec tous les égards, a assuré l’architecte, qui n’a pourtant pas pu cacher son inquiétude face aux dégâts que provoquerait un hypothétique incendie dans ce grand vaisseau de bois plus que centenaire. Ce dernier point, abordé pour évoquer les normes particulières auxquelles est soumis le bâtiment, n’a pas manqué de refroidir l’atmosphère (pourtant chaude) qui régnait sur le parc du Théâtre, clôturant étrangement cette première journée.


« Renaissance et destinée du théâtre populaire »

Lecture de La Passion de Jeanne d'Arc , avec le fond de scène ouvert.
Lecture de La Passion de Jeanne d’Arc, avec le fond de scène ouvert.

            Le cycle des interventions a continué le samedi, avec notamment deux heures de lectures vivantes des grandes œuvres de Maurice Pottecher par des comédiens amateurs, dirigés par les anciens directeurs du Théâtre. Leur actuel successeur, Vincent Goethals, s’est lui aussi prêté au jeu, en proposant un extrait du premier acte du Château de Hans, dans une lecture-mise en scène chorale tout à fait en résonnance avec la musicalité du texte. Il y avait une émotion palpable dans la grande salle du théâtre traversée par les frais courants d’airs d’une pluie vosgienne. Entendre, pour la première fois depuis longtemps, résonner les voix des personnages de Pottecher, réduits habituellement à la clameur silencieuse du papier, a permis pour beaucoup d’expérimenter à quel point les pièces de Pottecher, malgré une certaine surannation, peuvent encore enthousiasmer et toucher le public.

Les directeurs successifs du Théâtre du Peuple : de g. à d. : T. Egervari, J.-C. Berruti, Ph. Berling, V. Goethals, F. Rancillac, P.-E. Heymann et P. Diependaële
Les directeurs successifs du Théâtre du Peuple : de g. à d. : T. Egervari, J.-C. Berruti, Ph. Berling, V. Goethals, F. Rancillac, P.-E. Heymann et P. Diependaële

            Le frisson, lui, était le maître-mot du dimanche qui offrait de clore ce week-end par un colloque traitant de l’impact de la participation d’acteurs amateurs dans une création professionnelle. Les directeurs ont, chacun à leur tour, évoqué leurs expériences et souvenirs relatifs à cette question : Tibor Egervari, Jean-Claude Berruti, Philippe Berling, Vincent Goethals, François Rancillac, Pierre-Etienne Heymann et Pierre Diependaële ont offert une conversation de haute volée. Répondant avec beaucoup d’intelligence aux travers d’un tel questionnement, aucun d’entre eux ne s’est jamais départi d’une certaine tendresse assumée pour le lieu et les souvenirs qui s’y rattachent, faisant soudainement apparaître le Théâtre non seulement comme lieu de création et d’émulation, mais aussi comme un foyer, comme une « maison », tel que l’a formulé Pierre Diependaële. La place de l’amateurisme à Bussang est grande : pour chaque création annuelle, environ 2/3 des acteurs sur scène sont des amateurs. Mais loin de d’exacerber des concurrences, des tensions provoquées par une guerre des statuts attisée semble-t-il par le Ministère de la Culture, chaque directeur a souligné la richesse qui découlait de la rencontre entre les amateurs et les professionnels. Lorsque la question de la frontière entre les deux mondes a été abordée, Jean-Claude Berlutti a offert cette réponse : « Il faut être prudent sur cette question. Ce qui a changé notre pratique, c’est le choc d’un lieu qui a permis la rencontre entre des gens dont c’est le métier et d’autres qui font cela pour le plaisir, et il ne faut pas mélanger les deux. C’est important que chacun reste à sa place pour qu’une rencontre soit possible. » Pierre-Etienne Heymann a alors mis en garde contre l’utilisation uniquement économique des amateurs au détriment des professionnels. Vincent Goethals, actuel directeur, a rapidement souligné qu’à Bussang, ce trouble social n’avait pas cours, et qu’au contraire il en surgissait des performances chaleureuses et de qualité. « Ce mélange entre professionnel et amateur n’est plus possible qu’ici », a-t-il assené, non sans fierté. Le mot final fut confié à Jack Ralite[2], sage du conseil d’administration du Théâtre qui a conclu de façon tonitruante et rafraichissante. Avec une fougue intacte, Jack Ralite a défendu, véhément, la culture française et le théâtre, dans un contexte sociétal délicat : « Aujourd’hui, la liberté de création est menacée. Il y a une castration mentale en France et elle est due en partie parce qu’on isole le peuple de l’élite et l’élite du peuple. Nous sommes dans un tournant aujourd’hui aussi grand que celui de la Renaissance autrefois. Il faut rendre à nouveau le peuple populaire ! L’élite croit qu’elle sait, et parfois elle ne sait pas ; le peuple croit qu’il ne sait pas, et parfois il sait. Il est riche de connaissances en actes. Le chercheur, l’élite, doit écouter éperdument les connaissances en actes de celui qu’on appelle parfois « le barbare de la cité ». »

            Le public, frissonnant aussi bien d’émotion que par la fraîcheur de la salle, a applaudi chaleureusement ce cri fraternel qui venait de couronner un échange fort, rare et précieux, témoignage sincère de la vivacité toujours active de la devise du Théâtre de Pottecher, « Par l’Art, pour l’Humanité. »

[1] Boisson, Bénédicte, Denizot, Marion, Le Théâtre du Peuple de Bussang, 120 ans d’histoire, Actes Sud (30 €).
[2] Ancien journaliste à L’Humanité, ancien ministre (Santé puis Emploi dans les gouvernements de Pierre Mauroy) et ancien maire d’Aubervilliers (de 1984 à 2003), il est un homme de culture dans laquelle il s’investit toujours avec passion.

 

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