Vous avez dit « Alcoolique »?

« L’alcool décape la petite couche de bonheur peinturluré pour découvrir la patine d’un matériau doux, uni, pâle comme la tristesse. »

Michèle Mailhot

 

 

 

Salut les Mongols, ici Herr Ertzin, votre serviteur qui vient vous parler d’alcool. Et oui, d’alcool, comme quoi sur RMIz, on essaie de parler de tout. Ne tirant aucune gloire d’une consommation déraisonnable, n’essayant pas de nous faire passer pour des vrais hommes parce qu’on boit plein de vin, les gens comme moi se voient souvent questionnés et incompris quant à notre besoin d’état second. En effet, pour le grand nombre, l’alcoolisme, quand il ne rime pas avec succès, c’est un signe de faiblesse, c’est un défaut ou une maladie. N’est pas Renaud, Depardieu, ou Gainsbourg qui veut. La plupart des citoyens considérant l’alcoolisme comme une mauvaise chose parviennent pourtant à admirer ce genre d’alcoolo céleste, comme s’ils étaient frustrés de ne pas pouvoir en faire autant. Mais quand on parle d’un voisin, d’un membre de sa famille ou d’un ami, l’alcoolisme devient nettement moins glorieux.

 

Je ne suis pas du genre à me répandre à volonté,

Je n’ai pas besoin d’être plaint ou d’être encouragé.

Personne ne sait ce qui habite mon cerveau calciné,

Est-ce de la démence, une passade ou une céphalée ?

Et je n’ai  aucun trou dans ma tête pour y regarder,

Mais devant cette feuille, dans cette pièce enfumée,

J’expulse douloureusement mes mauvaises pensées

Un peu comme si j’accouchais d’un enfant mort-né.

Je botte en touche quand quelqu’un se met à réclamer,

Sous couvert de famille, de médecine ou par amitié

Les poussières foudroyant mes méninges encrassées.

C’est trop dur d’expliquer mon envie de me détériorer,

Avec cette impression de boire dans un verre ébréché.

Et quelques fois quand  mes lèvres se mettent à saigner,

Un quidam fait connaissance avec mon plus mauvais coté,

Et me demande ce qui motive ces addictions déprimées.

Mes excuses, je préfère être seul à connaître la vérité

A savoir vraiment tout ce que la vie m’aura confisqué

Et pourquoi j’ai de moins en moins l’envie d’avancer.

Cantonnés dans leur désir respectable, de santé, confort et bonheur, la plupart des gens ne cherchent pas à comprendre pourquoi quand eux prennent leur pied à avaler 3 bornes en courant, nous on débouche une fiole de rouquin, et on la vide. Toujours à nous vanter les mérites de la sobriété, de la confiance en soi et de la recherche de toujours avoir une raison de positiver, ils sont certains d’avoir raison, que tout le monde à droit au bonheur, et que pour avancer, il faut du travail, de l’argent, la santé et une famille. Et nous de leur balancer le fiel de nos vies, le pessimisme qui nous remplit, cette sorte de clairvoyance nimbée de j’m’en foutisme et de réalisme hideux.

La vie c’est de la merde, voilà notre point de vue, mais on entend plus souvent de « tu te plantes! » ou encore de « reprends toi en main! », que de « je peux comprendre » et autres « je sais pas si c’est la bonne solution, mais après tout, t’es grand! ». Non, ils pensent que le bon sens est forcément de leur côté, ils gardent pour toi un minimum de respect, et ne t’accordent plus aucune crédibilité.

Dommage, parce qu’on pourrait jouer un peu, on pourrait avoir la grande gueule qui nous manque bien souvent, taper du poing sur la table, et dire à qui veut l’entendre qu’ils se plantent, eux aussi…surtout eux.

 

 

Quand j’en ai marre de cette permanente sensation de vide
Quand d’autres que moi ne mettent jamais la tête sous l’eau
Quand je les vois jouer des coudes, fiers, ambitieux et avides
Quand je suis ivre mort, gerbant ma loose au fond d’un seau
Quand je me rends compte que je n’ai plus rien dans le bide
Quand j’essaie de me couler, alors qu’il faudrait rester à flots
Quand ils sont sûrs d’être des chevaux sauvages et sans brides
Quand je suis chien, conscient de ce qui entrave mon museau
Quand ils se trompent complètement sur ceux qui les guident
Quand je sais que devant nous, il ne peut y avoir que le chaos
Quand je vois des connasses essayer de lutter contres les rides
Quand ailleurs on en a, des rides, mais parce qu’on a pas d’eau
Quand ils se leurrent, et pensent que ce sont eux qui décident
Quand je me trouve juste à côté d’eux, à l’arrière du troupeau
Quand ils sont heureux de mener une vie prévisible et placide
Quand ils se couchent rêvant de succès, d’espoir, de renouveau
Quand j’égrène la liste exhaustive des raisons de mon suicide
Quand le moment vient où vivre consiste à traîner son fardeau.

 

Un fardeau, les mots sont forts, mais oui, l’existence est un fardeau. Alors plutôt que se voiler la face, on décide d’y aller à fond, la détérioration devient pour nous une sorte de quête dans laquelle ils nous est possible de repousser les limites de nos corps et de notre pensée. Une vie saine trompe la mort, soi-disant, mais vouloir tromper la mort, c’est bâtir sa vie sur un mensonge. La mort est là, en permanence et pernicieuse. Ils peuvent bien manger des fruits et faire du sport, ça n’empêche pas une voiture de quitter la route, ou  un AVC de venir souffler les bougies le jour de leur trente ans. Alors, on remue un peu le merdier, pour voir comment c’est quand on s’y frotte, au néant, au coma, au grand vide…

 

Quand les jours sont trop noirs pour y voir quelque chose

Que le fiel de ma vie se répand sur mon cœur

Je ne pense qu’à me détruire et atteindre l’overdose

Pour aller voir si le temps est plus clément ailleurs.

 

Et je me réveille dans un état déplorable

Avec l’amer regret de ne pas y être resté

J’avais pourtant rêvé de soleil et de sable

Mais au matin, je demeure sur mon canapé.

 

Et je me saoule dans une odeur de cendres froides

En rongeant au sang, ma triste condition d’écorché

Dans mon esprit en lambeau monte doucement la ballade

La chanson mélancolique d’un impuissant et d’un raté.

 

J’ai tout essayé pour peut-être me sentir bien

Et finir par aimer la vie et tout ce qui va avec

Mais quelque chose me retient au fond du bassin

Et mes tentatives de remonter se soldent par un échec.

 

Ainsi je reste coincé dans ma léthargie permanente

Me contentant de petits morceaux de bonheur égarés

Qui n’ont pas réussi à trouver quelque âme accueillante

Et c’est le vent par hasard, qui les dépose à mes pieds.

 

Le bonheur est une notion très relative. Il est différent aux yeux de chacun, quoique bien souvent en lien direct avec un certain confort matériel et financier. Mais pour nous autres, le bonheur n’a pas de définition, c’est juste une idée, qui traîne de-ci de-là, arrive à nous toucher quelques fois, mais bien souvent se retrouve chassée par cette mélancolie implacable. Et certains soirs, c’est vrai, les verres de vin s’imposent comme les arguments d’une mauvaise plaidoirie, dans laquelle on essaierait de défendre nos théories et justifier cette permanente envie de se cramer. L’ivresse, atteindre le moment où le corps dit stop et que le cerveau répond toujours…concentrer le reste de notre énergie pour entretenir une pensée. Ces quelques minutes avant qu’un sommeil d’ivrogne nous gagne, sont comme un grand tri dans nos têtes encrassées. On part pour un certain coma avec ces sacs de nœuds que sont nos vies, et on verra plus clair quand on se réveillera…Mais sommes nous certains de vouloir nous réveiller?

 

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3 réponses à “Vous avez dit « Alcoolique »?

  1. « (…) cornichon de zouave de tonnerre de Brest (…) concentré de moule à gaufres (…) bougre d’amiral de bateau-lavoir (…) espèce de loup-garou à la graisse de renoncule de mille sabords (…) bougre de papou des Carpathes (…) sacré mitrailleur à bavette (…) simili-Martien à la graisse de cabestan (…) analphabète diplômé … »
    Capitaine Haddock [Hergé]

    “Les drogues sont un défi à l’esprit”.
    Jim Morrison

    Cher Herr Ertzin, quelle bonne initiative que ce sujet sur l’alcool « ’isthme »… Comment pourrais-je te démentir ou déconstruire sur cette voie. . ? Même si nos expériences similaires ne sont ni parallèles, ni terminées, comme nos vies qui courent et les opinions qui valsent. Primo, j’attire l’attention de nos chers lecteurs sur les sujets qui me taraudent (je donne suite et « contre- »réponse à ton article comme nous le ferons dans ce petit jeu-duel, pour boucler ce dossier auquel chacun peut réagir via commentaires : je m’interroge sur une vision que nous pouvons avoir de l’Histoire de l’homme et de la guerre, d’autres sujets mongols en ligne de mire seraient « l’oralité » et son importance égale à l’Ecriture, l’invention du feu comme celle du malin… Tant de thèmes qui pulsent et à résoudre.

    Ainsi, comme toi je débusque quelques citations qui me font poiler ou penser. Mais je redémarre ton raisonnement de la fin, ton choix rapide et imagé de la chanson d’HFT « le twist, la dèche et le reste »… car ici on touche à la came, et je classerais l’alcool dans les drogues dures, sans surprise, comme la pire came connue (héroïne, cocaïne et nouvelles drogues comprises)… mais je ne peux pas aller à l’encontre de cette idée que l’on a droit de décider par soi, dans sa propre altérité, d’être dans la gestion de sa vie et de ses consommations (chose non évidente dans ce pays champion du monde en matière de somnifères et antidépresseurs, reflet d’un monde d’angoisse et d’esclavage sous la pression sociale). Ainsi qui aurait le droit de dire ce qui est bon pour moi… ? À moi de me rendre compte que telle ou telle substance n’est pas faite pour moi, ou alors que telle ou telle est gérable dans le non-abus (abuser = usage dévié, simplement).

    Richard Berry 20h TF1 à peu près fin années 90 : « l’alcool dilate les artères alors que le tabac les bouche, je prône un équilibre… » (aurait-il dit en s’épanchant sur son histoire de reins)…

    De plus pour ma part, l’alcool est un fléau par rapport par exemple à l’extinction des natifs américains, solide achèvement d’une politique voulue de massacre et désinformation, de mise en réserve et divers meurtres de masse perpétrés par les européens. Mais faut-il oublier que l’alcool est une création millénaire, présente sur toutes les parties du globe depuis les antiquités, simple fermentation de produits naturels transformés, la bière étant la boisson la plus ancienne, après l’eau, puis le vin symbole de civilisation. Donc, c’est bien un combat entre l’homme et sa création, cette altérité en soi, citée plus tôt, comme les dualités symboliques feu/diable, dieu/homme, homme/alcool et bientôt homme/robot (et cette problématique moderne du « trans-humanisme » : si Dieu a créé l’homme à son image, l’homme créera le robot à la sienne… on n’a pas fini d’égratigner le monde, le concept de la vie et celui de justice, d’égalité, de fraternité ou de liberté.

    Comme tu as cité les paradoxes Gainsbourg, Renaud… je pourrais citer un mec droit dans ses bottes concernant sa consommation, sa lucidité, ce cher Allain Leprest, … car il y a débat pour les utilisateurs de la boisson entre fulgurances créatives, antidépresseur pour le quidam moyen, enfer en quelques sortes pour le clodo et son cousin punk à chien ou divers cas sociaux… maintenus le nez dans leur merde, tout comme l’alcoolique mondain l’est aussi ! Moi c’est le côté « fulgurance » qui me touche, et l’on passe vite au minable à jouer comme ça ! Si le génie n’est pas en toi, ou le bosseur simplement, ce n’est pas l’alcool qui créera, c’est toujours toi… Nous ne cautionnons surtout pas le type qui tape sa femme, si courant, parfois pire, non ! Par contre acceptons le côté clown (aha sujet mode) ou le côté désinhibition, l’élan créateur également… la boisson a du bon, du mal, mais en fait n’accentue que notre être intérieur, l’extériorise, et nous sommes tous potentiellement cons !

    Ainsi, on n’a pas de mal d’associer ce second thème traité en radiographie mongole (pardon à ce peuple et son adjectif qualifiant !)… au premier, celui de la jeunesse… ! Jeunesse, drogues, le meilleur des mondes étant bel et bien tenu par nos dieux IBM, Google, Canal+, Orange, et passons sur ce lieu commun… [rêveries de Fight Club] pour renvoyer à ce fameux roman d’Aldous Huxley… qui n’est pas admirable selon moi, non, car professé comme un vœu eugéniste, sincèrement par son auteur…
    …Par contre son génie se révèle dix années plus tard dans « les portes de la perceptions » et autres philosophies indiennes…

    « Nous ne pouvons voir la lune et les étoiles, tant qu’il nous plaît de demeurer dans l’effluve lumineux des réverbères et des réclames de whisky. » / « L’homme connaît tant d’autres choses; il ne se connaît pas lui-même. » / « Cela étant, il faut renoncer à notre tentative de combattre les distractions, et trouver des moyens de les circonvenir et de les éviter. »
    Les portes de la perception (1954) Aldous Huxley

    « Tout allait de travers. Les gens s’accrochaient aveuglément à la première bouée de sauvetage venue : le communisme, la diététique, le zen, le surf, la danse classique, l’hypnotisme, la dynamique de groupe, les orgies, le vélo, l’herbe, le catholicisme, les haltères, les voyages, le retrait intérieur, la cuisine végétarienne, l’Inde, la peinture, l’écriture, la sculpture, la musique, la profession de chef d’orchestre, les balades sac à dos, le yoga, la copulation, le jeu, l’alcool, zoner, les yaourts surgelés, Beethoven, Bach, Bouddha, le Christ, le H, le jus de carotte, le suicide, les costumes sur mesure, les voyages en avion, New York City, et soudain, tout se cassait la gueule, tout partait en fumée. Il fallait bien que les gens trouvent quelque chose à faire en attendant de mourir. Pour ma part, je trouvais plutôt sympa qu’on ait le choix. »
    Charles Bukowksi [Women (1978)]

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